D’UN NOUVEL ART CONCEPTUEL  texte de Jean Paul Gavard Perret

 

 

Bettina David-Fauchier, Architectures de vides, Editions Voix –Richard Meïer, 2012

 

 

Plutôt que la saisie d’une seule image Bettina David-Fauchier est à la recherche d’éléments juxtaposés. Ils créent – selon une forme d’art conceptuel – une nouvelle identité de l’image qui ne parle que par son propre langage. Existe une déconstruction  formelle. Elle offre une réflexion sur l’art lui-même. Tout est donc conçu selon  des architectures improbables, des géométries colorées que souvent l’artiste traite en noir et blanc afin de créer un nouvel ordonnancement. Le travail permet une sublimation ou plutôt un dépassement des modèles concrets ou abstrais. L’artiste ne s’en inspire plus. Son travail cherche moins une transposition du monde qu’une exploration de lui-même.

 

Le paysage urbain est réinterprété par le regard de la  plasticienne. Celui du regardeur perd ses repères dans des perspectives improbables. A partir de la photographie Bettina David-Fauchier découpe et assemble selon un principe non de simple surface mais de profondeur. Surgit en conséquence à la fois une théâtralité des formes et une chorégraphie abstraite. L’objectif cherché n’est plus l’identification  d’un sujet. Et si certains éléments peuvent être identifiables cela reste secondaire.

 

Entre l’engeance et l’errance  surgit moins une « réalité » seconde qu’un processus de recomposition. Tout passe par montage : il annule chaque élément au profit d’un ensemble. Points de fuite et pans s’y démultiplient dans de nouveaux types d’anneaux de Moebius aux épaisseurs variables jusqu’à atteindre une sorte d’effacement ou de déperdition des plans et des couleurs. L’œuvre devient une sorte d’architecture utopique et improbable par laquelle l’artiste métamorphose les illusions de réalité et met à jour cette frontière où naît l’œuvre d’art dans un renouvellement de son langage.

 

Ce travail ne cherche plus à donner la contemplation passive d’un sujet ou d’un motif traité mais éclaire sur la perception du monde. Ou si l’on préfère Bettina David-Fauchier offre moins un renouvellement du sujet qu’une exploration de ses propriétés. Le traitement de  l’illusion codé par la photographie, la peinture, le dessin, l’architecture est remplacé par le traitement de leurs espaces propres.

 

Un tel travail permet de redéfinir bien des limites. Surgissent de fragiles incisions dans la lumière là où photographie est outrepassée en allant on ne sait où dans l'espace. Ce qui unit divise : l'inverse est vrai aussi. Le tout crée un monde  d'aube fait de lignes et de plans qui courbent l'obscur, transportent ou infusent "du" signe avec une certaine idée de la transparence. Une averse de lumière emporte les verticales coupées  et dévastent notre antique désert. Se pénètre une sorte d'au-delà, ici-même, ici bas dans un "cadre" où lignes et volumes créent des traces énigmatiques.

 

L'art se développe autrement, selon sa propre loi, glisse d'un genre à l'autre, d'une nature à l'autre. A la verticalité du vide répond l’horizontalité de la trace et des plages de lumière dans l’opéra de l'espace que l'artiste  dénude et drape. Bettina David-Fauchier sait que cela ne sert à rien de presser le réel pour voir s’il en sort des images. Cela ne sert à rien non plus de vider les images pour en filtrer le jus de la réalité. Ce qui l'intéresse ce n'est pas à proprement parler le réel, ni ce qui est au-delà, mais la confrontation, le renvoi de l'un à l'autre. Et plus encore d’interroger la nature de l’art en présentant de nouvelles propositions quant à cette nature. L’œuvre est à ce titre essentiellement dynamique comme le fut celle d’un Kossuth, un Le Witt en leur temps.

 

Emergent toute une sémiotique, une méthode propre à la connaissance du langage plastique. C'est pourquoi la créatrice va chercher d'une part dans l’ombre et les dagues du temps la persistance d’anciens plis  mais pour un nouvel ordonnancement selon des lignes imaginaires qui  se croisent et se recroisent. La photographe est à la base de ce  labyrinthe architectural. Son espace devient virtuel par ses formes, ses références géométriques des plages  qui impliquent l'ensemble des méthodes pour résoudre sur un seul plan les problèmes à trois dimensions de la géométrie descriptive.

 

Résumons : les œuvres de Bettina David-Fauchier  interrogent la surface  et le plan. Il existe le pouvoir de la surface, le pouvoir du fond.  Il faut s'abîmer en un transfert du "rien" au "lieu". Comme si la réalité ne se composait que de cette pénétration, de cette échappée. La création  de l’artiste constitue la seule réalité.  La lumière allonge le cou dans des fourrures de noir. Elle cherche un sens provisoire à l'arrogance de ses liens à l’obscur qui est son double. Tout un monde caché,  étrange,  mathématique, urbain, géométrique remonte. L’artiste déplaces les images afin qu’on puisse en comprendre la nature linguistique. Ce choc provoque  l'expulsion de l’anecdote. Et entendons par vide son sens latin « Vois ».

 

 

                                                              Jean Paul Gavard Perret